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BC Randonneurs Cycling Club
 

 

POURQUOI TANT D'ABANDONS ?

par Alain COLLONGUES

 

La seizième édition de Paris-Brest-Paris a battu au moins deux records : celui du plus grand nombre de participants, mais aussi celui moins glorieux du taux d'échec le plus élevé de son histoire, soit 30,08% [(abandons+hors-délais)/partants]. Le constat est clair : beaucoup ont eu du mal à venir à bout d'un Paris-Brest qui, bien que son exact opposé, n'était pas pire que celui de 1991, par exemple. On se rappelle la canicule plombant les cyclos tard dans la nuit et le souhait illusoire d'un petit crachin breton. On se souvient du vent d'est pendant les 600 bornes du retour, et de la facture qui se solda par 20,18% d'échecs. "Au risque de déplaire" (c'était le titre), Roger Baumann écrivit alors un article prémonitoire pour dire que ç'aurait été bien pire si la météo avait été celle de 1956. Il paraît qu'elle le fut cette année.

Le précédent record (29,55%) datait effectivement de 1956, année où de bout en bout sévit un temps désastreux. Pour expliquer la lessive, un argument logique vient alors à l'esprit des observateurs : la météo. Elle est qualifiée d'apocalyptique, lorsqu'on est à court d'images fortes, et chacun s'accorde à reconnaître qu'elle fut loin d'être favorable. Il me semble que l'explication est un peu courte, non que je nie le rôle du mauvais temps, mais parce qu'il y a d'autres facteurs qui ont aggravé les conséquences - disons normales - de cet inconvénient.

A mon sens le taux record de cette année est la conjonction de deux phénomènes, que chacun peut vérifier (voir l'annexe ci-dessous) et que je résumerai de deux formules brutales :

     - la fragilité des "vieux bonzes", atteints par la limite d'âge et rendus trop proches de la rupture dans l'adversité,
     - l'absence, ou sinon l'incapacité, des "jeunes novices" mal préparés, face aux aléas de trois ou quatre journées de route.

Les vieux bonzes ont commencé à cycler dans la période qui a suivi le creux de vague des années cinquante, alors que le deux roues motorisé taillait des croupières à la bicyclette. Ils ont aujourd'hui un demi siècle de pratique et ont longtemps repoussé les assauts du temps. Ce faisant ils ont démontré à beaucoup qui n'y croyaient pas que l'on pouvait accompagner des jeunots sans être une charge, bien au-delà de l'âge de la retraite. Sincèrement bravo, ils ont amplement mérité respect et admiration. Mais cette prouesse a des limites physiologiques. Ce n'est pas le mauvais temps - ils ont tous connu bien pire dans les multiples randonnées qu'ils se sont offertes - mais tout simplement l'âge qui les a arrêtés. Peut-être qu'une météo plus clémente leur eût permis de mener à bien la quadriennale, mais elle fut un révélateur que les limites du raisonnable étaient à peu près atteintes.

Leur taux d'échec, à 70 ans et plus, est de 74,14% et entre 60 et 69 ans, il est encore de 41,80%. C'est énorme pour une population de baroudeurs habitués aux longues distances, ayant souvent quatre, cinq ou six Paris-Brest dans leur sac de guidon, voire encore plus. Alors cette génération qui a donné des taux d'abandon très bas pendant des décennies (10% en 1979 et 1983 notamment) - celle qui m'a appris à pédaler - va tirer sa révérence, mais il sera bien difficile de la remplacer, tant les pratiques, qui aident entre autres à préparer un Paris-Brest, ont changé depuis leurs débuts.

Venons-en aux jeunes dans la force de l'âge. Je dirai que la relève a majoritairement déserté Paris-Brest : 147 partants de moins de 30 ans, soit 2,8% des partants, alors qu'en 1966, par exemple, les moins de 30 ans étaient 29,6%, soit dix fois plus. Sur ce vieillissement, la pyramide comparée des âges des partants, à un demi-siècle d'intervalle, est très significative.

De plus les présents ont été un ton en dessous de ce qu'il est logique d'attendre d'eux : 23,13% d'échecs chez les moins de trente ans et 22,57% chez les 30-39 ans, c'est 4 points de plus que le taux d'abandon moyen de 19%, tous âges confondus, de toutes les éditions. Alors en quoi le changement des pratiques explique-t-il ce constat ?

En dehors des brevets qualificatifs restés heureusement immuables, les randonnées qui sont proposées aujourd'hui sont de plus en plus courtes, de moins en moins difficiles à effectuer. Par exemple il n'y a plus de randonnées de 500 bornes. On fait un Versailles-Chambord ou un Paris-Sancerre, mais qui revient en vélo ? Pratiquement personne et la voiture ou le car assure le retour. Il y a trente ans on se lançait dans un Paris-Tours-Paris ou un Paris-Nevers-Paris ; il ne serait venu à l'idée de personne de rentrer autrement qu'en vélo. Quand on quittait Luchon à 3h00 du matin pour la RCP, c'était le soir même qu'il fallait être à Pau ; non le lendemain comme aujourd'hui, où les Brevets Cyclo Montagnards se font majoritairement sur deux jours. Qui aujourd'hui s'essaie à faire une Flèche de France, en se fixant l'objectif d'une médaille d'or ou d'argent ? Le Tour de France Randonneur lui-même est victime de cette pratique douce, qui voit les participants de la formule sur deux mois de plus en plus nombreux, tandis que diminue chaque année le nombre des randonneurs qui le bouclent en moins d'un mois. Et l'on pourrait continuer longtemps, tant les exemples abondent…

Ne serait-ce pas à la FFCT d'inciter davantage ses membres à mieux préparer Paris-Brest ? Pourtant elle est y très présente avec Jean-Pierre Guillot et Jean-Michel Richefort qui ne ménagent pas leurs efforts pour encourager et aider les participants. Elle l'est encore davantage avec un Président exceptionnel qui aligne un nombre incroyable de PBP Randonneurs et Audax, mais c'est insuffisant pour pousser la base inexpérimentée tout au long de l'année.

En bannissant tout ce qui ressemble à une compétition (même contre soi-même), en prônant les sorties familiales, les cyclo-découvertes et les petits parcours de la Semaine Fédérale, en oubliant de mettre en valeur les randonnées de longue distance, la FFCT porte une part de responsabilité. Je sais, il y a Paris-Pékin mais c'est un événement ponctuel. Chaque mois la revue Cyclotourisme ouvre ses colonnes à des activités autrement plus sages. Elles sont hélas conformes aux modes de vie actuels qui veulent des loisirs mais sans contrainte, du sport mais sans perte de temps et des muscles mais sans efforts. Est-ce un effet de l'âge, mais je ne trouve pas ce nouveau visage "politiquement correct" du cyclotourisme bien séduisant !

J'ajouterai que les novices motivés auront les pires difficultés à se procurer un vélo bien adapté à une randonnée comme Paris-Brest-Paris et qu'ils ignorent souvent qu'ainsi équipés, ils pourraient cycler plusieurs jours par n'importe quel temps, en totale autonomie sans mobiliser une escorte d'accompagnateurs. On comprend mieux alors que la relève ait tant de mal à occuper les places que les bonzes leur laissent et leur laisseront inéluctablement.

 

Alors la météo là-dedans : un détail, pas plus ! Le vrai problème est ce décalage de plus en plus flagrant entre une randonnée historique, voire préhistorique, et une pratique du cyclisme qui ne connaît plus que des cyclosportives bouclées à grande vitesse sur des distances courtes ou un cyclotourisme de promenade ne dépassant plus cent bornes dans la journée.

C'est peut-être le coup de blues qui suit chaque Paris-Brest, ne m'en veuillez pas trop…

ANNEXE

Edition Année Dates Engagés Partants Homologués Taux d'échec
1 1931 2/9 au 6/9 64 60 44 26,67%
2 1948 1/9 au 5/9 202 189 152 19,58%
3 1951 5/9 au 9/9 488 458 379 17,25%
4 1956 5/9 au 9/9 250 220 155 29,55%
5 1961 6/9 au 10/9 191 179 127 29,05%
6 1966 7/9 au 11/9 187 172 137 20,35%
7 1971 6/9 au 10/9 367 325 272 16,31%
8 1975 8/8 au 12/9 729 667 559 16,19%
9 1979 3/9 au 6/9 1880 1766 1574 10,87%
10 1983 29/8 au 1/9 2220 2106 1895 10,02%
11 1987 24/8 au 27/8 2675 2587 2119 18,09%
12 1991 26/8 au 30/8 3388 3275 2614 20,18%
13 1995 21/8 au 25/8 2976 2860 2376 16,92%
14 1999 23/8 au 27/8 3689 3573 2977 16,68%
15 2003 18/8 au 22/8 4185 4069 3458 15,02%
16 2007 20/8 au 24/8 5312 5160 3608 30,08%

  Total:   

28803 27666 22446 18,87%

 

Age : 1966/2007 18 - 29 30 - 39 40 - 49 50 - 59 60 - 69 70 et + Total
PBP 1966 : partants 51 74 23 23 7 1 179
1966 en % 28,49% 41,34% 12,85% 12,85% 3,91% 0,56% 100,00%
PBP 2007 : partants 147 669 1785 1812 689 58 5160
2007 en % 2,85% 12,97% 34,59% 35,12% 13,35% 1,12% 100,00%

 

PBP 2007 : Age 18 - 29 30 - 39 40 - 49 50 - 59 60 - 69 70 et + Total
Inscrits 152 688 1837 1857 718 60 5312
Partants 147 669 1785 1812 689 58 5160
Homologués 113 518 1326 1235 401 15 3608

Taux d'échec:

23,13% 22,57% 25,71% 31,84% 41,80% 74,14% 30,08%

Alain COLLONGUES
(ASPTT PARIS)
Novembre 2007

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